Imaginez un ordinateur construit non pas à partir de puces de silicium, mais à partir d’enzymes en interaction – les catalyseurs biologiques qui pilotent les processus chimiques de la vie. Ce n’est pas de la science-fiction ; des chercheurs de l’Université Radboud aux Pays-Bas ont créé un tel appareil. Contrairement aux ordinateurs traditionnels qui s’appuient sur une programmation rigide, cet « ordinateur chimique » s’adapte et apprend grâce aux interactions dynamiques de ses composants moléculaires, offrant un aperçu d’un avenir où le calcul fusionne avec la biologie.
Depuis des décennies, les scientifiques cherchent à reproduire la remarquable adaptabilité des systèmes vivants au sein de dispositifs artificiels. Les cellules détectent sans effort les nutriments, les hormones et les changements de température, ajustant ainsi leur comportement en conséquence. Imiter cette complexité dans des systèmes non biologiques s’est avéré difficile. La plupart des tentatives de construction d’« ordinateurs chimiques » ont été soit trop simplistes, soit trop rigides pour capturer l’interaction nuancée des réseaux biologiques.
Cette nouvelle approche adopte une approche différente. Au lieu de programmer méticuleusement chaque étape chimique, les chercheurs ont assemblé un système dans lequel sept enzymes distinctes résident sur de minuscules billes d’hydrogel emballées dans un tube. Un liquide qui coule transportant de courtes chaînes d’acides aminés (peptides) sert d’entrée à l’ordinateur. Lorsque ces peptides rencontrent les enzymes, chaque enzyme tente de les cliver à des sites spécifiques.
Cependant, il ne s’agit pas d’un processus linéaire. La coupure d’une enzyme modifie la forme du peptide et les sites de coupure disponibles pour les enzymes suivantes, créant ainsi un effet en cascade. Cette danse complexe de réactions chimiques génère des modèles en constante évolution au sein du système. Ces modèles deviennent le langage à travers lequel l’ordinateur interprète les informations.
“Nous pouvons considérer les enzymes comme le matériel et les peptides comme le logiciel”, explique Dongyang Li, chercheur au California Institute of Technology qui n’a pas participé à l’étude. “Ce système résout de nouveaux problèmes en fonction des intrants.”
Remarquablement, ce système dynamique présente des caractéristiques qui rappellent la mémoire biologique. Étant donné que les réactions chimiques se produisent à des vitesses variables, le réseau conserve une trace des signaux passés, ce qui lui permet de reconnaître les schémas qui se déroulent au fil du temps. Par exemple, il peut distinguer les impulsions lumineuses rapides et lentes, démontrant sa capacité à suivre les changements plutôt que de simplement réagir aux entrées statiques.
Cet « ordinateur chimique » n’est pas limité par les contraintes des circuits traditionnels. Il détecte les fluctuations de température, les classe avec une précision remarquable (avec une erreur moyenne de 1,3 °C entre 25 °C et 55 °C), et peut même discerner les niveaux de pH et réagir aux rythmes d’impulsions lumineuses. Tout cela est réalisé sans nécessiter de recâblage ou de reconception de ses composants chimiques de base.
L’équipe a été stupéfaite par l’efficacité du système compte tenu de sa taille modeste. Le potentiel de mise à l’échelle est vaste. Le chercheur Wilhelm Huck envisage un avenir dans lequel des systèmes plus complexes, incorporant des dizaines, voire des centaines d’enzymes, pourraient traduire directement les signaux optiques ou électriques en signaux chimiques, leur permettant ainsi d’interagir avec les systèmes biologiques de manière entièrement nouvelle.
Ce travail révolutionnaire marque une étape importante vers la réduction du fossé entre le calcul artificiel et biologique. Il ouvre les portes à des applications innovantes, depuis des capteurs hautement adaptables jusqu’aux interfaces biocompatibles qui intègrent de manière transparente la technologie aux organismes vivants.
